Transdisciplinarité des Arts Francophones

Des photographies en héritage (1)

Des photographies en héritage

- Une histoire familiale d’outre-tombe -
 

Le sujet de cet article n’est pas nouveau. Il existe quelques études auxquelles il sera fait référence. Le propos est ici quelque peu différent car fondé sur une expérience vécue et des documents personnels. Cette approche sensible n’échappe ni à une déformation due au prisme du temps ni aux effets certains d’une forte charge affective.

L’album

L’album dont il est question, et par quoi tout commença, vient de ma grand-mère maternelle qui elle-même le reçu de sa mère. Le voici désormais précieusement conservé dans ma bibliothèque parmi bien d’autres ouvrages qu’elle me céda dans ma jeunesse.

 

 

      
C’est un objet bien modeste en comparaison d’autres proposés chez des antiquaires. Pas d’ornementations particulières sur la couverture en cuir et avec un fermoir depuis longtemps cassé. Imposant par sa taille et surtout son volume, il n’a d’ornements que sa tranche et les filets dorés autour de photographies insérées dans l’épaisseur des lourdes pages cartonnées.

 

 

 Il contient ni figures de célébrités ni aucun portrait signé par un certain Félix TOURNACHON dit NADAR. Sa préciosité vient plus simplement de l’émotion suscitée par la découverte de ses ancêtres, de leur physionomie. Les clichés réalisés dans des ateliers parisiens -comme joliment mentionné au verso de chacun - dataient de la fin du XIXe sinon du tout début XXème siècle. Cette généalogie visuelle est enrichie par l’identification des personnes puisque ma grand-mère, née en 1908, pouvait encore mettre des mots sur ces images 70 ans plus tard. Elle connaissait les noms, les filiations et les anecdotes. Ses notes manuscrites et autres documents découverts récemment révèlent une généalogie remontant à 1814

                                                              

 

 

Famille KARPEN : Mr KARPEN, sa femme Catherine, Albert (prêtre), Félicie et Léon

Ces portraits participent d’un rituel car on se rend chez le photographe à de rares occasions et pour marquer de grands moments dans l’existence (1). Les contraintes techniques sont nombreuses dont la faible sensibilité à la lumière des plaques qui nécessite une durée d’exposition longue. Les portraits sont alors figés, voire austères même s’ils sont parfois théâtralisés avec un fond de toile peinte et des accessoires servant de point d’appui pour garantir la netteté de l’image, surtout avec les enfants.

                                                           

 

Enfants non identifiés

Au-delà d’une possible identification, la propension est toujours forte de rechercher un caractère, un statut social ou autre sur ces visages. La douceur ou la dureté d’un regard, le maintien du corps, la tenue vestimentaire sont autant de signes que la photographie permettrait de déceler dans le moindre détail.

Un photographe amateur du nom d’Émile ZOLA, qui réalisera plus de 7000 plaques photographiques dont beaucoup dans le cercle familial, pensait-il à cela lorsqu’il disait : « A mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n'en avez pas pris une photographie révélant un tas de détails, qui autrement ne pourraient pas même être discernés. » (2).

 

 

Aïeux non identifiés

Malgré les récits et indices matériels, aussi discrets soient-ils, reste le non-dit qui incite à l’imagination et des interrogations qui portent à la réflexion. Ainsi en est-il du paradoxe entre le pouvoir d’être immortalisé par la photographie et le fait qu’elle peut nous rappeler notre condition d’Êtres mortels.

 

 

Ce sentiment peut s’éprouver en remontant les allées de cimetières, quand notre regard est arrêté par le portrait d’un parent ou d’un inconnu sur une pierre tombale (3). Ces portraits qui interpellent avaient pour origine l’album familial. Ils sont désormais des médaillons vitrifiés, des plaques en métal ou des céramiques émaillées (4). L’image associée au nom gravé sur la tombe d’un défunt assure et renforce de façon pérenne sa fonction mémorielle. La photographie de l’album qui a sa place dans cette patrimonialisation du sentiment familial contribue plus largement à la conscience d’une appartenance à l’humanité.

Cimetière de La Chartreuse, Bordeaux © Loïc Guston

Cimetière de Limoges © Loïc Guston       

Cimetière de Limoges © Loïc Guston

L’expression ultime de l’immortalité s’exprimera avec la photo post-mortem (5) et ses macabres mises en scène ou avec le phénomène de la « photographie spirite » (6).

     Cimetière de La Chartreuse, Bordeaux © Loïc Guston 

Cimetière du Père Lachaise, Paris © Loïc Guston

Un article de l’Institut national d'histoire de l'art (7) permet de conclure avec cette citation des industriels LEBRUN et CAZAUX qui écrivaient en 1877 :

« Au lieu d’une pierre ou d’un marbre retraçant sévèrement le nom et la date d’un défunt, vous reproduisez sa photographie, sa physionomie, ses traits, sa ressemblance, le froid qu’inspire ordinairement la terre des morts disparaît pour faire place à une douce illusion […]. La photographie n’est-elle pas un présent de la providence pour perpétuer notre souvenir dans nos familles, surtout lorsque cette photographie est incrustée dans le monument qui doit recevoir les restes mortels ? ».


NOTES

(1)          Manuel CHARPY, La bourgeoisie en portrait. Albums familiaux de photographies des années 1860-1914, 2007

                https://journals.openedition.org/rh19/1382?lang=en

 

(2)          Entretien accordé par Emile Zola à la revue anglaise The King en 1900

 

(3)          https://loeildelaphotographie.com/fr/loic-guston-album-de-famille/

                https://www.facebook.com/media/set/?set=a.787334384693625.10737420    17.461205963973137&type=1

                https://www.facebook.com/media/set/?set=a.787334384693625.1073742017.461205963973137&type=1

 

(4)          GEYMET Théophile, Héliographie vitrifiable : températures, supports perfectionnés, feux de coloris, 1889

                Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-V-20804

                https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110306m.texteImage

                GEYMET Théophile, Traité pratique des émaux photographiques; secrets, tours de mains, formules à I'usage du                 photographe émailleur sur plaques et sur porcelaine. Paris, Gauthier-Villars, 3ème ed., 1885

(5)          Violette CEOBHRANACH, La photographie post-mortem et autres arts macabres à l'époque victorienne, 2018

                https://memoriesofviolette.fr/la-photographie-post-mortem-et-autres-arts-macabres-a-lepoque-victorienne/

Le troisième oeil

(6)          Maison Européenne de la photographie, exposition Le troisième œil - La photographie et l'occulte, 2004-2005

                https://www.mep-fr.org/event/le-troisieme-oeil/

                Laurie LAUFER, De l'image revenante aux illusions bénies (expériences de spiritisme), Champ psychosomatique                 n°46, 2007

                https://www.cairn.info/revue-champ-psychosomatique-2007-2-page-65.htm#no2

(7)          Manuel CHARPY, Patrimoines incertains. Photographies et récits familiaux dans la France du xixe siècle

                Uncertain inheritance. Photographs and Families Accounts in the 19th Century France, Institut national d'histoire                 de l'art

                https://devisu.inha.fr/photographica/119#ftn8

 

Loïc Guston

Artiste photographe, ancien professeur d’arts plastiques et d’histoire de l’art diplômé en méthode de recherche en théorie de l’art et en pratique artistique.

https://l-guston.com/fr/accueil

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article