Transdisciplinarité des Arts Francophones
16 Juillet 2018
Platine, un livre de Régine Detambel
On peut s’étonner du choix d’un livre sur l’actrice Jean Harlow, star de la MGM dans les années 30 aujourd’hui sans doute bien oubliée. Pourtant, l’ouvrage que vient de lui consacrer Régine Detambel, chez Actes Sud, mérite le détour à plus d’un titre.
Tout d’abord parce que, dans ce texte concis, son auteur ne donne pas une biographie ordinaire de son modèle. Seuls quelques axes sont conservés pour faire saillir le drame qu’a été l’existence de Jean Harlow. De la petite fille trop blonde à la jeune femme malade qui devait mourir à l’âge de vingt-six ans, c’est une existence violente et misérable qui nous est contée.
Née en 1911, Jean Harlow est élevée par sa mère, une adepte illuminée de la science chrétienne, et son beau-père, un affairiste magouilleur. Ce duo toxique l’accompagnera tout au long de sa courte existence. Débutant par quelques figurations dans le cinéma muet, notamment aux côtés de Laurel et Hardy, Jean Harlow est repérée par Howard Hughes qui lui donne le premier rôle de sa superproduction parlante, Les Anges de l’enfer, grande oeuvre retraçant les combats aériens durant la Guerre 14-18. Dès la sortie du film, en 1930, la jeune femme devient une star scandaleuse remarquée avant tout pour sa poitrine trop proéminente et sa blondeur que beaucoup de femmes imiteront, donnant naissance à l’adjectif blonde platine et à un film du même nom réalisé par Frank Capra en 1931. Louis B. Mayer lui fait immédiatement signer un contrat et les succès s’enchaînent même si la critique éreintera souvent Jean Harlow, la réduisant à sa plastique.
C’est cet angle que choisit Régine Detambel. Elle nous conte l’histoire d’un corps qui aura fait fantasmer les hommes, un corps travaillé par les studios pour atteindre une certaine perfection érotique, alors qu’il n’est que douleur. Cette douleur, on peut en identifier la source : en juin 1932, lors de sa nuit de noce, son premier mari, impuissant, la bat violemment et elle échappe de peu à la mort. Il se suicidera ensuite. Elle gardera des séquelles de ce traumatisme tout au long de sa vie. Detambel nous montre ainsi comment la jeune femme, se sachant stérile alors qu’elle souhaitait fonder une famille, s’abimera dans les liaisons et les affaires de moeurs, comment aussi son corps s’épuisera, perdant ses cheveux, bouffie par les traitements, souffrant atrocement d’une infection rénale qui finira par l’emporter un jour de janvier 1937.
Platine est aussi un portrait du système des studios hollywoodiens. Dans celui-ci, un corps est une marchandise qu’il faut rentabiliser ou jeter lorsqu’il est périmé. Lorsque Jean Harlow quitte en cours de route le film Saratoga, son ultime prestation où elle apparaît fortement diminuée, Louis B. Mayer rassemble ses financiers pour mesurer le coût que ce départ va occasionner et fait retirer le portrait de l’actrice de son bureau. Durant la dernière demi-heure du film, Harlow y est remplacée par des doublures filmées de dos mais le film sortira coûte que coûte. Seuls les acteurs Clark Gable, son partenaire dans Saratoga, et William Powell, son dernier amant, se presseront au chevet de la star et chercheront à l’arracher des griffes d’une mère qui refuse de la faire soigner. Vingt-cinq ans plus tard, Gable vivra une situation similaire lorsqu’il tournera Les Désaxés, le dernier film de Marilyn Monroe dont Jean Harlow était l’idole.
Pour évoquer cette histoire, Régine Detambel emploie un style poétique, volontiers digressif. L’ouvrage s’ouvre sur une évocation des seins de Jean Harlow, « la partie du corps féminin la plus proche de l’argent » or Harlow, « c’était la perfection des seins ». Il se poursuit en de courts chapitres qui, pas à pas, suivent le calvaire de la jeune femme. Jusqu’à cet ultime film, Saratoga, « navet ultime », où « Harlow joue à amadouer la douleur physique qui la travaille pendant le tournage ». Extrait :
« Mais justement ce qu’elle dit, Harlow, inoubliablement, dans Saratoga, c’est oublie ta plainte, joue-là, cette scène, regarde comme je suis opiniâtre devant la caméra qui contient ma douleur, qui la cadre, l’insistance finira par payer, la joie finira par te laisser entrer, alors tant pis si tu dois consacrer toute ton énergie à lutter au lieu de t’occuper de ton jardin ou de faire à vélo le tour du monde, tant pis parce que cette douleur est ta manière frénétique d’être au monde, elle est ta matière fluorescente, ta force à toi, ton rôle dans la distribution, bien bizarre, on est d’accord, probablement une erreur de casting, il a fallu que ça tombe sur toi, mais c’est tout de même toi, te voilà une occupation à part entière, douleur toujours nouvelle, solutions et résolutions toujours en cours, c’est la vie selon Harlow, c’est la vôtre, c’est la mienne et celle de quelques milliards d’autres désespérés. Autrement, nous n’avons pas de raison d’être, nous sommes juste des images. » (p. 15-16)
Une écriture emportée, belle et enflammée, à l’image de la vie brûlée de son modèle.
Alain Hertay